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Solitude chez les vétérans – Leurs défenseurs militent pour davantage de programmes de soutien et d’animation sociale

nov. 24, 2022
« Il importe pour nous d'avoir cette conversation afin que les gens n'aient pas l'impression d'être livrés à eux mêmes et sachent qu'un soutien existe, et que des ressources leurs sont offertes pour mieux les accompagner sur le chemin du rétablissement, a déclaré Fardous Hosseiny, président et directeur général de l'Institut Atlas pour les vétérans et leur famille.
L’article suivant du journaliste du Globe and Mail Dave McGinn est reproduit avec permission (n’inclus pas toutes les photos et let graphiques qui accompagnait l’histoire originale publiée le 9 novembre, 2022).

Operation VetBuild

Des vétérans de la Marine, Kempton Allen, à gauche, et Brian Jackson, qui ont déjà servi ensemble à bord du NCSM Kootenay, rient ensemble en participant au programme Operation VetBuild à la filiale 44 de la Légion à Chester, en Nouvelle-Ecosse, le 7 novembre. DARREN CALABRESE/THE GLOBE AND MAIL


Plus tôt cette semaine, Agnes Conrad se trouvait dans une filiale de La Légion royale canadienne à Chester, en Nouvelle Écosse, pour observer d'autres vétérans occupés à construire des modèles réduits de navires et d'avions. Mme Conrad, une femme de 77 ans qui a servi dans le Service féminin de l'Armée canadienne, assiste régulièrement à ces réunions du lundi soir organisées dans le cadre de l'Opération VetBuild, un programme conçu pour combattre l'isolement social chez les vétérans.

L'année dernière, Mme Conrad travaillait sur un modèle d’hélicoptère, mais il lui a fallu une éternité pour le coller et l'assembler. Maintenant, elle vient simplement pour bavarder et passer du bon temps.

« L'armée est une fraternité, a-t-elle tenue à dire. Et lorsque vous quittez, tous nos camarades viennent à nous manquer. »

Les conditions de la vie militaire qui contribuent à créer de tels liens aussi étroits peuvent en effet, après une libération, rendre les vétérans beaucoup plus vulnérables à l'isolement et à la solitude. Le stress, les dangers et les traumatismes potentiels, inhérents au service militaire, peuvent également entraîner des cicatrices physiques et émotionnelles qui risquent plus tard de contribuer à la solitude.

À ce sujet, et à l'instigation d'organisations de défense des droits des anciens combattants, le recensement de 2021 a posé des questions spécifiques aux personnes ayant servi dans les forces armées. C'était là la toute première fois en 50 ans qu’un recensement faisait une telle chose. Aussi, il aura permis de constater que près d'un quart des vétérans vivent seuls, soit un taux bien plus élevé que dans l'ensemble de la population. Avec ces informations en main, les organisations de défense des droits sont dorénavant habilitées à s'exprimer en faveur de davantage de soutien et de programmes visant à lutter contre la solitude chez les vétérans.

« Il importe pour nous d'avoir cette conversation afin que les gens n'aient pas l'impression d'être livrés à eux mêmes et sachent qu'un soutien existe, et que des ressources leurs sont offertes pour mieux les accompagner sur le chemin du rétablissement, a déclaré Fardous Hosseiny, président et directeur général de l'Institut Atlas pour les vétérans et leur famille, qui s'efforce de combler le fossé entre la recherche et la pratique. Mais il reste beaucoup de travail à accomplir ».

De nombreux chercheurs dans le domaine affirment que la solitude est devenue une épidémie.

Dans les faits, les Canadiens sont de plus en plus nombreux à vivre seuls : 4,4 millions de personnes en 2021, contre 1,7 million en 1981, selon Statistique Canada. Le recensement a révélé que 23,1 % des vétérans vivent seuls, et que c’est là un taux beaucoup plus élevé que l'ensemble des Canadiens : en effet, 28,1 % des vétérans de sexe féminin vivent seuls, contre 16,9 % de l'ensemble des femmes; chez les vétérans de sexe masculin, c'est 22,2 % contre 14,7 % de l'ensemble des hommes.

Vivre seul toutefois ne signifie pas nécessairement qu'une personne se sent seule; certes, mais une forte corrélation existe. Selon Statistique Canada, 24 % des personnes qui vivent seules disent se sentir toujours ou souvent seules, contre 11 % de celles qui vivent avec d'autres personnes.

En outre, l'isolement social et la solitude sont associés à une augmentation de la mortalité et de la morbidité; ils sont également liés à des facteurs de risque importants d'affections chroniques, telles que les maladies cardiaques, les maladies pulmonaires, les maladies cardiovasculaires, l'hypertension, la dépression, l'anxiété, le syndrome de stress post traumatique, les troubles liés à l'alcool et à la toxicomanie, ainsi que le suicide et les idées suicidaires, a tenu à expliciter M. Hosseiny.

Les réalités de la vie militaire amèneraient les vétérans à être particulièrement vulnérables à la solitude, a fait remarquer M. Oliver Thorne, directeur exécutif du Réseau de transition des vétérans, une organisation caritative basée à Vancouver qui accompagne les vétérans dans leur transition de la vie militaire à la vie civile.

Aussi, le fait de passer d'une affectation à une autre, et ce, à quelques années d'intervalle, peut rendre difficile la mise en place d'un réseau social fiable; et lorsque les militaires quittent le service, ils sont à même d’éprouver une perte d'identité qui peut venir brouiller la création de liens avec d'autres personnes, a souligné M. Thorne.

« Cela peut s'avérer très déstabilisant. Et j’irais même jusqu’à dire que le service militaire entraîne chez le vétéran un risque accru de solitude », a-t-il conclu.

C'est à partir d'une initiative lancée en Grande-Bretagne que Craig Hood a eu l'idée en 2019 de créer l'Opération VetBuild de La Légion royale canadienne. Et aujourd'hui, le programme est en place dans 37 filiales de la Légion à travers le pays.

Selon M. Hood, coordonnateur national du programme, la plupart des vétérans qui participent à l'Op VetBuild sont attirés par la camaraderie.

« Ce que nous constatons, c'est qu'ils font moins de modèles réduits et plus de socialisation, a t il fait valoir. En effet, le fait d'avoir un passe-temps les aide à surmonter des problèmes tels que l'anxiété et la dépression, ainsi que ceux généralement associés aux blessures liées au stress opérationnel ou au stress post-traumatique. »

Il a été démontré que la participation à des programmes tels que Op VetBuild aide les gens à alléger leur sentiment de solitude, a déclaré Julie Schermer, professeur à l'Université Western qui mène une recherche sur la solitude.

« En contact avec d’autres, ils se sentent moins seuls, car ils ne se retrouvent plus isolés. Ils font quelque chose en groupe et en discutent... ce qui entraîne ensuite à des discussions sur ce qu'ils ressentent » a ajouté Mme Schermer.

Malheureusement, le programme peine à attirer de jeunes vétérans.

« C'est là l'un de nos problèmes » de noter Gerry MacNeil, qui supervise le programme Op VetBuild à la filiale de Chester, en Nouvelle-Écosse.

L'une des raisons pour lesquelles les programmes de la Légion éprouvent des difficultés à attirer les vétérans plus jeunes pourrait tout simplement être due au fait qu'ils ne sont composés que de très peu de jeunes membres.

La Légion compte actuellement quelque 250 000 membres à travers le pays; or, en 1984, ce chiffre était à 604 000. En 2018, 80 % des membres étaient âgés de plus de 55 ans.

Somme toute, d'être en mesure d'attirer les jeunes vétérans constitue en soi un problème. En effet, selon les résultats préliminaires d'une étude menée sur le bien-être des vétérans pendant la pandémie – étude dirigée par Don Richardson, directeur scientifique du Centre de recherche sur les traumatismes liés au stress opérationnel MacDonald Franklin –, les jeunes vétérans sont plus susceptibles de souffrir de solitude que leurs aînés.

Les vétérans plus jeunes – moins de 55 ans – qui n'ont pas de relations à long terme et qui vivent seuls se sont avérés comme étant plus vulnérables face à la solitude, selon le Dr Richardson.

« Une solitude accrue était liée à une augmentation de symptômes observés de SSPT, et, sans surprise, à une augmentation des symptômes de dépression, d'anxiété et de consommation problématique d'alcool », a-t-il fait savoir.

John Siiro est un homme de 46 ans qui a pris sa retraite des forces armées après 21 ans de service; il vit maintenant seul à Edmonton après avoir connu un divorce. Il dit qu'il lutte parfois contre la solitude, surtout lorsque sa fille de 10 ans n'est pas avec lui.

« Quand je suis ici tout seul, oui, je ressens vraiment un peu de solitude. Parfois, je me dis que personne ne peut vraiment s’attendre à vivre seul à mon âge », a-t-il fait remarquer.

M. Siiro se tient occupé avec ses activités de golf et de pêche, et ne rend visite à une filiale de la Légion qu’à l’occasion.

De l’avis de ce dernier, il est rare que des vétérans de son âge ou plus jeunes s'impliquent auprès de la Légion.

En revanche toutefois, selon M. Thorne, du Réseau de transition des vétérans, un aspect positif du dernier recensement est que ses données peuvent et devraient aider à mieux comprendre pourquoi tant de vétérans vivent seuls, et à préciser les programmes dont ils pourraient avoir besoin pour s’attaquer au problème de la solitude.

Pour le gouvernement et les organisations comme la sienne, disposer de plus d'informations permet de mieux comprendre « […] où se trouvent ces personnes, qui elles sont, et les défis auxquels elles sont confrontées », a-t-il jugé. De cette façon, a-t-il rajouté, « […] nous serons mieux en mesure d’évaluer les services dont elles ont besoin et d'établir comment nous adapter pour leur mise en place ».

« Ces informations sont extrêmement importantes car elles nous offrent un peu plus d'éclairage sur la situation actuelle. »